Quatre Questions qui Pourraient Déterminer l’Avenir d’Haïti

POINTS CLÉS

  • Les développements récents soulignent les immenses défis à relever pour parvenir à une transition démocratique.
  • Le danger à court terme est un effondrement total de l'État en raison d'une grave crise sécuritaire.
  • Les soutiens internationaux doivent adopter une stratégie soutenue et globale pour éviter de répéter les erreurs du passé.

POINTS CLÉS

  • Les développements récents soulignent les immenses défis à relever pour parvenir à une transition démocratique.
  • Le danger à court terme est un effondrement total de l'État en raison d'une grave crise sécuritaire.
  • Les soutiens internationaux doivent adopter une stratégie soutenue et globale pour éviter de répéter les erreurs du passé.

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Beaucoup de choses se sont produites en Haïti au cours des deux dernières semaines, et rien de tout cela n’est rassurant. Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a limogé le Premier Ministre Garry Conille le 10 novembre, après seulement six mois de mandat. Quelques instants avant la prestation de serment du Premier Ministre par intérim le lendemain, un avion de ligne commercial américain a été touché par des tirs, forçant une pause dans les vols vers l’aéroport international d’Haïti. Ces développements soulignent la réalité à laquelle est confronté le gouvernement intérimaire d’Haïti et les immenses défis auxquels il doit faire face pour assurer une transition d’ici février 2026, comme le prévoit l’accord du 3 avril 2024. Compte tenu de ce dysfonctionnement, les Haïtiens et leurs partenaires internationaux craignent à juste titre que la crise politique et sécuritaire en pleine évolution du pays ne fasse que s’aggraver.

Des policiers kényans, membres de la Mission Multinationale de Soutien, sécurisent le principal port d'Haïti à Port-au-Prince, Haïti, le 25 septembre 2024. (Adriana Zehbrauskas/The New York Times)
Des policiers kényans, membres de la Mission Multinationale de Soutien, sécurisent le principal port d'Haïti à Port-au-Prince, Haïti, le 25 septembre 2024. (Adriana Zehbrauskas/The New York Times)

Pour les États-Unis, ces récents événements devraient les amener à réévaluer leurs options pour répondre aux défis sécuritaires, politiques et humanitaires d’Haïti. Le processus devrait commencer par trouver des réponses à quatre questions clés.

1. Les composantes du gouvernement intérimaire parviendront-elles à s’entendre ?

Le renvoi de Conille met en évidence la méfiance générale qui caractérise les relations entre le Premier ministre et des éléments du CPT. Il montre également que certains membres du CPT semblent à l’abri des réalités sociales pénibles auxquelles le pays est confronté. Les accusations de corruption visant trois membres du CPT couvant depuis l’été dernier, les tensions avec Conille ont augmenté. Son renvoi a été précédé par la demande du CPT de limoger le ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy et plusieurs autres membres du cabinet, ce qu’il a refusé. Les réunions successives entre Conille et le CPT, certaines organisées par la Communauté des Caraïbes et l’Organisation des États Américains, n’ont pas été concluantes. Pour de nombreux observateurs, cet épisode ne fait que renforcer le cynisme envers la classe dirigeante du pays.

À l’avenir, le président actuel du CPT, Leslie Voltaire, sera jugé en dernier ressort sur sa capacité à favoriser une gouvernance transparente et une responsabilisation, confirmant ainsi que le CPT ne gouverne pas et ne peut pas gouverner seul. Cela signifie que le pouvoir de décision entre le CPT et le nouveau Premier Ministre, Alix Didier Fils-Aimé, doit être clair. En absence d’un parlement national élu, on parle beaucoup, mais peu de progrès, de la création d’un conseil consultatif national représentatif. Cela devrait attirer l’attention d’urgence sur la nécessité d’activer un engagement de l’accord du 3 avril, l’Organe de Surveillance de l’Action Gouvernementale, dont le mandat comprend la surveillance des performances du cabinet, mais qui est resté dans les limbes procéduraux et politiques.

Un autre impératif est de mettre en place un processus de dialogue national inclusif, le CPT étant considéré comme représentant d’une clique dominée par des hommes et composée d’acteurs politiques intéressés à eux-mêmes. Une grande partie de ce processus est à la merci d’un environnement sécuritaire qui se détériore, sans parler d’une crise humanitaire. Dans leurs premières déclarations publiques suite à la récente crise, Voltaire et Fils-Aimé ont tous deux souligné la nécessité de répondre à plusieurs priorités liées à la sécurité, à la relance économique et aux élections. Une première étape concrète serait de formaliser le Conseil de sécurité du gouvernement de transition, un organe de coordination essentiel, envisagé comme un suivi de l’accord du 3 avril, qui n’est pas encore opérationnel.

Le danger à court terme est que ce qui reste de l’État haïtien s’effondre avant que la communauté internationale ne se soit entendue sur une approche sécuritaire efficace.

Le Conseil de sécurité est essentiel pour assurer la surveillance et le contrôle nécessaires à une gestion cohérente et réactive des différents dispositifs de sécurité mis en place par les acteurs internationaux. Alors qu'Haïti oriente son appel à la communauté internationale vers une Opération de Maintien de la Paix (OMP) plus conventionnelle de l'ONU, cela est d'autant plus crucial. La nature nébuleuse des accords entre la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) dirigée par le Kenya et le gouvernement haïtien est l'un des nombreux problèmes qui ont miné la MMSS.

2. Quelle est la prochaine étape en matière de soutien à la sécurité internationale ?

Le MMSS est sans doute une occasion manquée, et la question est désormais de savoir s’il peut être sauvé. La réalité est douloureuse : le déploiement Kenyan est loin d’atteindre les effectifs promis et la situation sécuritaire générale s’est dégradée, ni l’aéroport International de Port-au-Prince ni plusieurs installations portuaires importantes ne sont à l’abri des gangs. La létalité accrue de ces gangs et leur présence nationale étendue suggèrent une évolution vers une ambition opérationnelle de type cartel. Les niveaux calculés de violence démontrent qu’aucun quartier ni aucune communauté n’est à l’abri, et leurs actions sont de plus en plus programmées pour avoir des effets politiques. Le fait que ces gangs opèrent en toute impunité devrait également attirer l’attention sur les acteurs politiques et économiques haïtiens qui profitent de ces développements et sur les réseaux internationaux de trafic qui les dynamisent.

Étant donné que le MMSS n’a pas démantelé la violence des gangs, il est temps d’explorer d’autres options, qui pourraient inclure :

  • Transition vers une mission de maintien de la paix conventionnelle de l’ONU. Les principales vertus d’une OMP sont qu’elle est par définition un effort de plus grande envergure ; qu’elle intègre des capacités opérationnelles, administratives et politiques initiales qui font défaut à la MMSS ; et qu’elle implique un soutien budgétaire de nature plus institutionnelle qui ne laisse pas une mission de sécurité en Haïti à la merci des caprices politiques des États-Unis ou d’ailleurs. Il existe déjà un effort diplomatique américain derrière cela.
  • La fusion du MMSS avec une OMP par le biais d’une coalition internationale solide dirigée par les États-Unis. Cela pourrait contribuer à combler une lacune conceptuelle. Washington n’a pas suffisamment expliqué le rôle de leader du Kenya dans la résolution des problèmes de sécurité en Haïti. Mais cela nécessiterait un renversement significatif de la position de l’administration Biden à l’égard d’Haïti, présentée comme une « solution menée par Haïti » et craignant des engagements qui pourraient conduire à une présence américaine sur le terrain. Dans ce dernier cas, la nouvelle administration Américaine est confrontée à des choix difficiles.

    À cet égard, on peut envisager deux autres scénarios de sécurité ancrés dans la réalité selon laquelle la MMSS et la mise à niveau des capacités de la Police nationale haïtienne (PNH) sont insuffisants.
  • Une approche Américaine dans le cadre d’un principe de politique régionale. Une telle approche mènerait la lutte directement contre les gangs haïtiens et les réseaux de trafic régionaux lucratifs qui y sont liés. Cela inclurait des entrepreneurs privés spécialisés et pourrait chevaucher d’autres formateurs étrangers travaillant avec la PNH. Le message politique serait important pour souligner la clarté de la politique américaine dans le contexte haïtien et régional, et en effet, pour faire savoir aux dirigeants politiques haïtiens que Washington attend également des résultats positifs de leur part. L’inconvénient pourrait être que l’ampleur de la violence des gangs et son expansion géographique rendent cette option difficile à mettre en œuvre.
  • L’option Bukele. Une autre alternative pourrait être façonnée par les développements politiques en Haïti et influencée par les expériences ailleurs dans les Caraïbes et en Amérique latine. Nayib Bukele, le président du Salvador, a adopté une approche intransigeante contre les gangs et les éléments violents dans son pays. Cette approche pourrait avoir des partisans en Haïti, dans la région et à Washington. Elle nécessiterait un mélange créatif d’aide sécuritaire et politique américaine pour créer un élément clé des réalisations relatives de Bukele : une armée moderne. L’armée haïtienne, dissoute dans les années 1990 mais rétablie au cours de la dernière décennie, reste une force très réduite, et tant en Haïti que parmi les partenaires internationaux suscite de profondes inquiétudes.

    Cette voie comporte de nombreux inconvénients, notamment le fait que ce qui a fonctionné politiquement et opérationnellement au Salvador pourrait en fait être une stratégie défaillante en Haïti. Il est néanmoins nécessaire de réexaminer légitimement la politique dans le contexte des efforts internationaux parallèles visant à reconstruire les capacités de la PNH et, ce faisant, à identifier des missions distinctes mieux gérées par une armée professionnelle, moderne et bien équipée. Cela permettrait également d’éviter un scénario plus provocateur qui pourrait survenir de manière inattendue : une offre, facilitée par des intermédiaires haïtiens, d’une puissance non occidentale d’insérer des forces paramilitaires.

3. Où va le soutien international ?

Le renvoi de Conille ne surprendra peut-être pas de nombreux analystes haïtiens, mais le fait qu'il coïncide avec un changement imminent dans l'administration américaine - et peut-être dans la politique américaine - est important. L'éviction du Premier Ministre par le CPT pourrait être interprétée par certains comme une manœuvre visant à avantager l'électorat politique haïtien lié au parti Lavalas, ce qui pourrait faire remonter à l'esprit de certains à Washington le bagage historique des années 1990 et du début des années 2000.

Tout cela souligne les défis politiques inhérents à la transition vers une opération de maintien de la paix conventionnelle ou un engagement solide de sécurité mené par les États-Unis. L’option de la OMP est celle qui a le plus de chances de réussir, de reconstruire progressivement la PNH et d’obtenir un soutien global à une transition politique ordonnée. Elle permet de court-circuiter les aspects diplomatiquement lourds de l’opération MMSS et d’augmenter le nombre et les budgets des déploiements multilatéraux à un niveau significatif. Néanmoins, pour les décideurs politiques américains, une telle démarche devrait surmonter plusieurs défis diplomatiques, politiques et de perception publique haïtienne. Lorsqu’elle a été initialement envisagée au début de l’automne à l’ONU, une OMP s’est heurtée à l’opposition Russe et Chinoise. En fin de compte, le MMSS a été renouvelé pour une année supplémentaire.

L’intérêt politique pour un engagement continu des États-Unis en Haïti sera déterminé en partie par la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire, et ses répercussions sur la politique américaine en matière d’immigration et de réfugiés. Une partie de cette évaluation consistera à déterminer si une opération de maintien de la paix conventionnelle est la mieux adaptée à une situation sécuritaire qui se transforme en un environnement de gangs à accès libre, avec des réseaux criminels s’étendant au reste du bassin des Caraïbes.

Sur le plan tactique, les précédentes opérations de maintien de la paix en Haïti (1994-2017) peuvent nous apporter des enseignements utiles, ce qui contredit l’idée selon laquelle il s’agissait d’un échec. Mais un inconvénient plus immédiat est qu’il faudra du temps pour déployer et commencer les opérations sur le terrain – le déploiement étant presque complet d’ici la fin du printemps 2025. Haïti peut-il attendre aussi longtemps ? Une mesure intermédiaire pourrait consister en un premier coup de pouce apporté par un effort robuste, très probablement dirigé par les États-Unis, en partie avec des sous-traitants privés, pour former et équiper la PNH, tout en intégrant certains vestiges de l’opération MMSS.

4. Une transition démocratique en février 2026 est-elle réalisable ?

Il faut se rendre à l’évidence : le danger à court terme est que ce qui reste de l’État haïtien s’effondre avant que la communauté internationale ne se décide à adopter une approche sécuritaire efficace. Il est rassurant de constater que les dirigeants du CPT et le nouveau Premier Ministre ont réitéré leur engagement en faveur d’élections en 2025 et d’une transition vers un gouvernement élu d’ici début 2026. Ils ont également souligné que l’insécurité du pays est la priorité absolue. Pour Washington et d’autres capitales clés, la transition début 2026 n’est pas négociable. 2025 devra donc être l’année des miracles.

En fin de compte, le sort du CPT et l’architecture de gouvernance de transition dépendront de sa capacité à atteindre au moins une courte liste d’objectifs. Au-delà de la condition sine qua non de la sécurité au niveau des rues, cela comprend : une réforme constitutionnelle et un référendum ; des élections nationales ; et des politiques qui dynamisent l’économie et répondent à la crise humanitaire. Deux initiatives américaines existantes peuvent faire une différence significative : la législation sur les préférences commerciales HOPE/HELP et le Global Fragility Act, qui a le mérite de se concentrer sur la « résilience » institutionnelle et dont la durée est de dix ans. La société civile haïtienne, bien qu’affaiblie, et la diaspora américaine, nombreuse et diversifiée, peuvent se dynamiser grâce à des actions de suivi.

Haïti a besoin de ressources financières et d’expertises ciblées pour les initiatives en cours. Le Comité de Pilotage de la Conférence Nationale en est un exemple. Il pourrait élaborer des décisions productives nécessaires pour parvenir à une transition démocratique en février 2026. Dans le cadre du processus de réforme de la constitution de 1987, la Conférence nationale a récemment nommé un coordonnateur pour diriger un groupe d’étude composé d’experts constitutionnels d’Haïti et de la diaspora. Le coordonnateur, Jerry Tardieu, est un ancien parlementaire qui a dirigé un comité de révision constitutionnelle dont les conclusions ont été très respectées.

Les autres tâches du comité directeur de la Conférence Nationale sont très spécifiques et comprennent : l'élaboration d'un ensemble de lois permettant l'achèvement du processus de réforme constitutionnelle et ce qui a été présenté comme une réaffirmation du pacte sociétal entre l'État, la société civile et les partis politiques, c'est-à-dire l'élaboration en termes généraux d'une vision nationale pour le reste du siècle. Un autre exemple est une entreprise dirigée par la société civile, le Groupe d'Assistance à la Transition (GAT), dont la mission consiste notamment à mobiliser les principales parties prenantes et à servir d'interlocuteur potentiel à l'engagement de la communauté internationale dans les efforts liés à la transition.

Même si l’on parvient à des résultats mesurables sur ces questions, on peut se demander si un processus électoral national crédible sera possible. La barre est haute, car les élections ne peuvent avoir lieu sans la sécurité dans les rues, sans la reconstitution d’un conseil électoral et sans l’appareil administratif et financier nécessaire. Le calendrier prévu pour un processus de réforme constitutionnelle au printemps 2025 et des élections nationales au second semestre de l’année est quasiment impossible à respecter. Si le processus est retardé, il incombera aux dirigeants de transition d’Haïti de proposer une alternative convaincante et réalisable.

L’organisation du référendum constitutionnel pourrait bien être le défi le plus surmontable – et le plus nécessaire politiquement. Il s’agit de réviser et de mettre à jour la constitution, et non de réécrire le texte dans son intégralité. Il reste quelques questions de procédure à résoudre pour donner une légitimité au processus, mais le plus dur a été fait, notamment un rapport de commission parlementaire, divers efforts entrepris par des spécialistes de la constitution haïtienne et un soutien technique plus récent fourni par des groupes internationaux d’assistance à la démocratie.

Le prochain grand défi réside dans le processus politiquement lourd de recréation du conseil électoral (qui est déjà en cours) et dans la consolidation du financement nécessaire à la fois pour la période préélectorale et pour le scrutin lui-même. La sécurité n'est pas le seul défi : lors des dernières élections en Haïti, le taux de participation aux élections présidentielles a été proche ou inférieur à 20 %.

En fin de compte, aucun soutien ne sera efficace si les nouveaux dirigeants haïtiens ne mettent pas de côté leurs ambitions personnelles et leurs aspirations partisanes et ne coopèrent pas. Espérons que la communauté internationale ait tiré les leçons de ses précédentes interventions en Haïti. Des efforts décousus et fragmentés, manquant de coordination étroite avec les principaux acteurs haïtiens, ne produiront pas le résultat souhaité d’une transition démocratique au début de 2026.


PHOTO: Des policiers kényans, membres de la Mission Multinationale de Soutien, sécurisent le principal port d'Haïti à Port-au-Prince, Haïti, le 25 septembre 2024. (Adriana Zehbrauskas/The New York Times)

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PUBLICATION TYPE: Analysis