Au cours de la décennie qui a précédé les deux coups d'État militaires de 2020 et 2021 au Mali, les griefs persistants en matière de gouvernance ont priver les civils de services publics fiables, pendant que l'armée s’efforçait de contenir les groupes extrémistes violents. L'espoir d'un retour rapide à un régime civil après le coup d'État s'est estompé au fur et à mesure que le pays approche sa troisième année sous un régime militaire. En dépit des efforts du gouvernement de transition pour établir une feuille de route pour les élections de 2024, des préoccupations s’agrandissent par rapport à la capacité de l'infrastructure nécessaire pour mener à bien le processus et s'aligner sur le calendrier prévu.

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Korotoumou Thera, Directrice exécutive de Femmes et développement, s'adresse aux médias locaux après l'événement d’un dialogue au niveau national de Femmes contre l’extrémisme violent organisé conjointement par l'USIP à Bamako, au Mali. 13-15 septembre 2021.
Korotoumou Thera, Directrice exécutive de Femmes et développement, s'adresse aux médias locaux après l'événement d’un dialogue au niveau national de Femmes contre l’extrémisme violent organisé conjointement par l'USIP à Bamako, au Mali. Septembre 2021

Pendant cette transition, la légitimité du gouvernement a été fragilisée au fur et à mesure que les Maliens sont frustrés par l'instabilité, la corruption, les atteintes aux droits de l'homme, un déficit de redevabilité et une répartition inéquitable des ressources. Toutefois, tandis que la transition démocratique demeure délicate, les acteurs de la société civile offrent un cadre propice à la négociation d'un nouveau contrat social entre les autorités maliennes et le peuple malien.

Au milieu du deuxième Sommet de la Démocratie du Président Biden Sommet pour la démocratie, l'accent est mis de plus en plus sur la façon dont les organisations de la société civile - telles que l'organisation partenaire de l'USIP, Femmes et Développement - peuvent amplifier les voix de ceux qui sont le plus touchés par les crises. En agissant comme un pont entre les communautés et le gouvernement, la société civile peut faciliter un système de gouvernance réactif qui est la pierre angulaire d'une société démocratique stable et sûre.

Korotoumou Thera, directrice exécutive de Femmes et Développement, réfléchit à la voie à suivre pour la transition démocratique au Mali, à la manière dont le Sommet pour la démocratie peut contribuer à la soutenir et à l'importance de l'inclusion des femmes dans les efforts en faveur de la paix, de la sécurité et de la démocratie.

En tant que directrice exécutive d'une importante organisation de la société civile au Mali, que pensez-vous de la construction d'un avenir pacifique et démocratique au Mali ?

La bonne gouvernance est essentielle à la construction de la démocratie et nécessite une confiance réciproque entre les gouvernements et les gouvernés. Au cours de la dernière décennie, le Mali a traversé une longue série de crises politiques et sécuritaires sans précédent, dues en grande partie à la mauvaise gestion de ses ressources, et la plupart des conséquences se sont fait sentir au détriment du bien-être et de la sécurité des Maliens.

Cette situation a creusé un fossé entre les communautés maliennes et le gouvernement, et a particulièrement aliéné les jeunes et les femmes, qui ont traditionnellement été minimisés dans la construction de la paix et de la démocratie par tous les acteurs en position de pouvoir. Il en résulte une mauvaise collaboration, un manque de confiance et des relations tendues.

Pour les organisations de la société civile, cela signifie que notre rôle peut et doit aller au-delà de la consolidation de la paix, de la protection des droits de l'homme et de la prévention de l'extrémisme violent. Nous sommes en mesure d'agir en tant qu'interlocuteurs entre les communautés et les gouvernements - en mettant en relation ceux qui ont le plus besoin que leurs problèmes soient entendus avec ceux qui ont la capacité de les traiter.

Mon organisation, Femmes et Développement, engage le gouvernement malien dans des programmes qui défendent les droits des femmes et des filles avec une expertise sur les questions de paix, de sécurité, de droits de l'homme et de changement climatique. Par le programme Femmes contre l'extrémisme violent (WPVE) de l'USIP, nous avons travaillé à l'établissement de relations entre les réseaux féminins de consolidation de la paix et les membres des communautés locales, en établissant des liens entre ces parties prenantes et les autorités nationales autour de priorités communes en matière de consolidation de la paix.

La bonne gouvernance est essentielle à la démocratie, mais il est difficile d'y parvenir sans une meilleure collaboration entre les gouvernements et la société civile dans la gestion des affaires du pays. Pour cela, il faut pour accroître la responsabilité de la société civile et les engagements entre la société civile et les autorités afin que les droits des communautés soient respectés et que les parties prenantes puissent collectivement mettre en place une bonne gouvernance au Mali. Tout repose sur la bonne gouvernance, et la bonne gouvernance est un défi majeur dans de nombreux pays africains aujourd'hui.

Alors que les dirigeants du monde entier se réunissent pour le deuxième sommet pour la démocratie, qu'attendez-vous du rôle et de la participation de la société civile, et qu'espérez-vous retirer de ce sommet ?

En agissant comme des ponts entre les communautés et les gouvernements, les organisations de la société civile ont identifié une pièce manquante dans les stratégies nationales de promotion de la démocratie. J'espère que vous verrez de nombreux acteurs de la société civile démontrer, par des exemples concrets, à quel point il est essentiel de rechercher et d'intégrer les préoccupations des communautés dans les stratégies nationales, et que les dirigeants seront en mesure de saisir l'importance de la collaboration entre les acteurs politiques et la société civile.

En outre, les sociétés oublient souvent de souligner la nécessité de la participation des femmes et des jeunes à ce type de processus. L'Afrique est un continent très jeune, et ses problèmes de gouvernance ne seront pas résolus en ignorant ou en excluant les voix des jeunes. Au Mali, près de la moitié de la population a moins de 14 ans et la population totale du pays devrait doubler d'ici 2035. Les jeunes Maliens - hommes et femmes - ont le droit de façonner leur avenir et de faire entendre leurs préoccupations, et j'espère que les dirigeants du monde entier feront un effort concerté pour les soutenir.

J'espère également que l'on s'intéressera à la manière dont la démocratie et la stratégie WPVE peuvent se chevaucher et se renforcer mutuellement. La stratégie WPVE rassemble les acteurs communautaires et nationaux afin de placer les femmes au centre des politiques nationales de prévention et de lutte contre l'extrémisme violent. Le phénomène de l'extrémisme violent ravage le Mali et menace d'autres pays africains du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest. Combinées au changement climatique, ces crises contribuent à une détérioration considérable du niveau de vie et des droits de l'homme des Maliens. Le peuple malien est fatigué de la faim, des sécheresses et de l'insécurité, aggravées par le changement climatique et l’échec des politiques de gouvernance. De nombreuses preuves montrent que les femmes peuvent avoir un effet profond sur la consolidation de la paix, et il est temps de leur donner une chance de contribuer à la paix dans leurs communautés.

Je suis convaincu que les échanges entre les organisations de la société civile, les dirigeants africains et les responsables américains permettront de relever ces défis et d'autres défis majeurs qui causent de graves préjudices aux communautés africaines et sapent la démocratie au Mali et sur l'ensemble du continent.

Ayant été un leader de la société civile au Mali pendant plusieurs décennies, vous avez une perspective unique sur la crise actuelle. Quelles sont vos recommandations aux partenaires internationaux favorables à la démocratie ?

La population malienne a une énergie et un appétit énormes pour un changement — un changement dans la coopération politique, un changement dans la façon dont le monde extérieur perçoit le Mali et les pays africains, un changement dans l'accès aux ressources naturelles du pays avec plus de transparence, un changement en termes de sécurité et un changement dans l'exploitation de nos richesses.

En effet, les défaillances de la gouvernance, les lacunes dans la gestion des ressources du pays et l'absence de redistribution des richesses à la population ont précipité l'échec des hommes politiques et, de la démocratie et la succession des coups d'État. On peut même considérer le gouvernement de transition comme le résultat d'un besoin de changement drastique au Mali - le coup d'État de 2020 avait à l'origine apporté un sentiment d'espoir à une population qui se sentait privée de ses droits.

Mais aujourd'hui, ce moment d'espoir dans le régime militaire a été rattrapé par les réalités d'une situation sécuritaire qui ne cesse de se dégrader. À 240 kilomètres de la capitale Bamako, dans la région de Ségou au Mali, il est courant de se demander ce qui va se passer pendant la journée, lorsque le soleil se lève, car il n'est pas certain que l'on puisse survivre.

La sécurité est interconnectée entre les citoyens du monde. Toute augmentation de l'insécurité, ou des mouvements de personnes déplacées qui y sont associés, peut rapidement faire boule de neige au-delà des régions du Ségou, du nord et du centre du Mali et peut-être même de la région du Sahel. Pour résoudre ce problème, il faut emprunter le même chemin : La construction d'un nouveau modèle de démocratie par la population malienne pour le Mali doit être impulsée au niveau des communautés de base et portée au niveau national. Les organisations de la société civile, comme celle que je dirige, agissent comme un ciment dans la mise en place de ce modèle de démocratie.

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